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Trois questions – Quentin marchal – 1er prix anciens résidents

Lorsqu’elle ne trouve pas ses mots, son nez se fronce, ses lèvres se tordent.

« C’est… »

Elle se concentre. De toutes ses forces.

« Hmm… C’est de la… »

Et d’un mouvement de tête, elle abandonne.

« It’s some fucking octopus. »

En français, ça veut dire que ce qu’elle me tend là, dans son assiette en carton, ce machin en forme de boules de pâte gluantes, c’est de la pieuvre.

« Spécialité nippone, le takoyaki. Ils découpent l’octopus en morceaux, ils mettent dans de la pâte et ils grillent. »

Elle me colle l’assiette sous le nez.

« Eat. »

Ça veut dire mange. Alors je prends l’assiette, et je cherche sur le stand s’il n’y a pas des cuillères en plastique. Des baguettes. Quelque chose.

« Comment je suis censé faire ?

– Mets dans ta bouche, banane. »

Elle m’a déjà tourné le dos, elle s’éloigne.

Au bas de la nuque, elle s’est fait tatouer le symbole du Yin et du Yang.

Je m’apprête à demander aux vendeurs s’ils n’ont pas des couverts, mais les résidents du Japon sont déjà affairés à servir de nouveaux clients. C’est le principe de ce week-end, la fête de la cité U. Chaque maison du parc représente le pays duquel elle tire ses origines, leurs occupants cuisinent des spécialités. Ils proposent des expos, des spectacles.

« Oh ! »

Je me tourne vers cette fille, elle a les mains sur les hanches.

« Tu me dois encore deux réponses ! Alors tu me suis. OK ? »

OK, OK… Je l’ai rencontrée il y a quoi ? Une heure, à peine. Je me baladais dans la Cité, je découvrais cette fête, sans but précis. Aux abords du Mexique, j’ai croisé le regard de cette fille qui s’est précipitée vers moi et m’a interpellé avec son accent bizarre « Yo, toi. J’ai trois questions pour toi. »

Je me suis arrêté. Par curiosité, ou peut-être à cause de cette autorité effrayante qu’elle dégage malgré sa si petite taille.

« Première question. Tu viens d’où ?

– Euh… De chez moi.

– Où t’es né ? Où t’as grandi, banane ! »

Son français n’est pas exceptionnel, mais le mot banane, elle le connaît.

Je lui ai expliqué. Je suis né dans le Nord, je suis venu à Paris pour mes études. Rien d’exceptionnel ni de très intéressant.

« Et toi ? »

Elle a eu une moue gênée, elle s’est gratté la tête.

Sur l’avant-bras, elle s’est fait tatouer un attrape-rêve amérindien.

« C’est compliqué. Je suis née au Kenya. Mais j’y suis restée que deux ans. Après ça… »

Après ça elle a passé une heure à essayer de me lister les endroits où elle avait vécu. Une heure pendant laquelle elle m’avait traîné de stand en animation pour me faire goûter ceci et me montrer cela, se faisant un devoir de m’expliquer à moi, pauvre français n’ayant jamais enjambé une frontière, qu’il y avait un monde à l’extérieur et tant de choses à découvrir.

Cette fête m’a-t-elle dit, c’est comme un avant-goût de ce qu’il y a dehors, un aperçu de ce que moi je rate en m’enfermant à Paris.

Enfermer, oui, c’est le mot qu’elle a employé.

Et là, je la suis sans savoir où on va, sans même savoir son nom, et elle me fait descendre des marches de pierre menant à l’arrière-cour du Danemark.

« Deuxième question » dit-elle en claquant sa bière sur la table.

Les Danois ont transformé leur jardin en bar, on a commandé à boire, on s’est installé, et moi j’essaye de manger ces grosses boules de pieuvre collantes sans m’en mettre plein les doigts.

Je tente une première bouchée.

Merde. C’est bon.

« Tu veux aller où ? demande-t-elle, menton levé, sourcils baissés.

– Comment ch’a ? Dans la vie ? Après ch’ette pinte ? »

Elle hausse les épaules.

« Comment tu comprends la question, ça fait partie de ta réponse. »

Elle veut savoir si je compte voyager, j’imagine.

Je réfléchis, je bredouille des idées. J’aimerais quitter un peu la France, oui, habiter ailleurs, un jour. Peut-être en Asie, pourquoi pas, et puis, visiter l’Australie, et les États-Unis aussi, je sais pas, pourquoi cette question ?

Elle avale une gorgée de bière. En posant le verre elle s’exclame quelque chose dans une autre langue et derrière elle un serveur danois se marre et lui répond dans un dialecte semblable. Ça doit être du danois, du coup.

Elle lève trois doigts. Ça veut dire dernière question.

À la base du majeur, elle s’est fait tatouer trois idéogrammes, peut-être chinois, ou bien coréens.

Elle lève les yeux de son verre et de sous ses cheveux, elle me lance un sourire de mille watts. Sans le savoir je vis un moment dont je me souviendrai encore, sept ans après, de l’autre côté du monde, et elle, penchée sur la table, elle me regarde droit dans les yeux, et elle me chuchote :

« T’attends quoi ? »


A propos de Quentin Marchal

J’habitais la Maison des Étudiants de l’Asie du Sud-Est. La MÉASE. Une dizaine de mois durant mes études en école d’ingé, à Télécom Paristech. C’était il y a des années déjà, mais le temps ne parviendra pas à estomper les souvenirs que je garde de cette brève étape de ma vie. De la cité U. De cet endroit irréel, cette miniature du monde bourrée de moments gravés dans ma mémoire et de rencontres improbables qui me collent un sourire à la figure chaque fois que j’y repense. Évidemment je suis toujours abonné aux newsletters de la Cité, je les reçois comme des piqûres de nostalgie régulières, et lorsque j’ai vu ce mail présentant le concours de nouvelles de cette année, j’y ai vu l’occasion de pouvoir me replonger dans ce passé, et de peut-être avoir une chance de partager par écrit tout ce que ce lieu a représenté pour moi.

Au sujet du 3ème concours 17 boulevard Jourdan

Le 3ème concours de récits 17 boulevard Jourdan s’est tenu de novembre 2015 à février 2016, invitant les participants à écrire une histoire réelle ou fictive, à la première personne, se passant à la Cité internationale et ayant pour thème « La Cité de la sérendipité », les hasards heureux.

Avec le soutien de :

  • Cité Internationale
  • 6 mois
  • Clairefontaine
  • Parigramme
  • Mairie du 14ème arrondissement
  • Fédération Internationale des Professeurs de Français (FIPF)
  • Éditions Diane de Selliers
  • Radio Campus Paris

El árbol – Laura Collignon – 1er prix résidents

Aujourd’hui, j’ai commencé à peindre un arbre. A l’aquarelle. Il semble comme tous les autres. Mais, sur ses branches délicates et bigarrées, dansent une nymphe et un faune.

Aujourd’hui, cela fait exactement deux ans que je suis rentrée en France. J’ai vécu quelques mois dans un pays méconnu, que mes amis savent désormais situer sur le globe.

Là-bas, très loin, il s’est passé quelque chose d’étrange : la Guarimba. Ce mot n’a de sens que dans un seul pays au monde. Il a pourtant fait partie de mon quotidien durant de longues semaines. Le pays s’embrase, les villes se barricadent, les hommes survivent. J’avais quitté ma France sans savoir que j’allais vivre des mois de guerre civile non-officielle. Mon pays ne m’a jamais paru si lointain et si doux. Mais je suis restée, j’ai appris et j’ai grandi.

Pourtant, le retour en France n’a pas été simple. Guarimba, lorsque dans une conversation tu m’échappes, les sourcils se haussent. Personne ne sait pour toi. Ici tu n’existes pas. Je me mure dans le silence. Une barricade sur la bouche, encore.

C’est dans cet état d’esprit que je suis retournée à la Cité Universitaire. Perdue dans un lieu familier, mais liée jusqu’aux entrailles à un pays qui n’est pas le mien, le pays de la Guarimba. 311 jours de ma vie et des racines désormais plantées dans deux continents. Je suis un arbre qui ne tient plus debout. Il n’y a plus d’hommes armés qui errent dehors, mais je continue à vivre enfermée.

Un matin, dans la cuisine du Collège d’Espagne, un inconnu pose son plateau repas en face de moi. Ce minuscule geste du hasard, anodin et si banal, fait exploser ma bulle de solitude. Il vient d’un continent que je ne connais pas encore. Sa peau est d’une autre couleur, ses paroles franches et vives. Il me prend sous son aile. Peu à peu, je descends de ma barricade imaginaire. Les nuits légères s’enchaînent dans Paris, que je redécouvre. Au milieu de ces êtres d’ailleurs, je me sens à nouveau parmi les miens.

Un soir, nous profitons de l’été tardif dans la terrasse intérieure du Collège. C’est l’un de ces moments simples, quotidiens, sans doute anodins pour eux. Ils ne savent pas que ces tous petits instants sont pour moi une véritable renaissance.

Une nuit, un garçon espagnol se glisse entre mon protecteur et moi. Perçoit-il la faille sous l’allégresse retrouvée ? Pour la première fois depuis mon retour, sous ses questions douces, son visage attentif, je m’entends raconter la Guarimba, et tout le reste, la forêt tropicale, les montagnes, mes élèves, tous ceux que j’ai l’impression d’avoir abandonné là-bas.

Très vite, on ne se quitte plus. Même si tu dois partir bientôt, dans quelques jours. Un contrat prestigieux t’attend, loin d’ici. Cela n’entame pas notre légèreté. Viens, Paris est à nous pour quelques jours. Ivres de musique, d’opéra, de lectures, de rires, tu lui dis adieu et je renoue avec ma ville. Avec la vie.

La dernière nuit, nous nous perdons dans le parc de la Cité. Entourés d’une nuée de lampes semblables à des pieuvres en mouvement, on se tient la main comme des enfants. Tu me murmures des poèmes à l’oreille. Désormais, la plume de Neruda me ramènera toujours vers toi.

Sous la pleine Lune, dans le froid naissant, au milieu de la pelouse déserte, nous entamons une valse silencieuse. En une seule nuit, tu transfigures tout un parc pour moi, pour toujours.

C’est quelque part par là, dans ce parc, que nous avons planté la graine de notre amour, notre arbre. El árbol, dans ta jolie langue. Et aujourd’hui, c’est lui que je suis en train de peindre. Ses branches sont couvertes de touches de piano, de poèmes, de tableaux, de billets d’avion. Des branches où s’amusent une nymphe heureuse, et un faune rieur.

Oui, cette Cité est bien celle de la Sérendipité.


A propos de Laura Collignon

En une phrase : Laura 26 ans, passionnée par l’Amérique latine et la pédagogie alternative.

Je viens de décrocher mon premier poste dans une start-up qui conçoit des MOOC : des formations en ligne nouvelle génération sur la culture digitale, le marketing, entre autres !

J’ai un parcours universitaire en zigzag : après une prépa lettres, j’ai suivi un Master Recherche, tout en prenant des cours d’économie sociale et solidaire dans une école de commerce. Je suis ensuite partie une année au Venezuela, où j’étais prof de Français. A mon retour, j’ai repris des études d’échanges internationaux.

J’ai vécu trois années à la Cité Universitaire, dans trois maisons différentes. Je lui dois beaucoup d’émotions, de pleine lune, et de nuits magiques.

Au sujet du 3ème concours 17 boulevard Jourdan

Le 3ème concours de récits 17 boulevard Jourdan s’est tenu de novembre 2015 à février 2016, invitant les participants à écrire une histoire réelle ou fictive, à la première personne, se passant à la Cité internationale et ayant pour thème « La Cité de la sérendipité », les hasards heureux.

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La passerelle – Gilles Verdet – 1er prix grand public

C’est toujours par-là que je me faufile. La passerelle, côté banlieue, on dirait un ponceau. Un pont-levis baissé à perpète sur un fleuve à double sens. Celui du périf qu’en finit jamais de couler, encore et encore.

Ici, la Passerelle du Cambodge s’ouvre sur un demi trottoir, par un mince goulet de béton, à claire voie, au bas d’un escalier à barbelés. Un passage pour curieux et badauds de la marge. Comme moi.

C’est toujours par là que j’enjambe la barrière de Paname pour pénétrer la Cité sans m’attarder au-dessus du courant. Toutes ces bagnoles ça me refile le vertige du piéton. Dessus, je piétine souvent des poussées d’herbes grises et croise parfois des bourgeons d’iris, sur le ponton de traverse. Le jardinet suspendu offre une entrée discrète mais panoramique aux gens du coin, à ceux de ma trempe, surtout. Face à la belle pelouse et au beau château. De dos, l’imposante baraque me fait penser à Moulinsart, à chaque fois. Avec son jardin à l’anglaise. Aussi grandiose qu’une plage du nord ou qu’un gazon de british.

C’est mon instant content, la plongée du matin vers la verdure à roupillons. Je m’y glisse en seigneur, le cœur pénard et le pied léger, entre les ifs taillés du haut et les buissons alignés. Là, quand le soleil affleure aux cimes sur les restes de la nuit, je me prélasse dans la tiédeur montante, allongé dans l’herbe rase, le cul au frais. Avec la jeunesse studieuse, tout autour, les tapeurs de ballons ronds, les cavalcades d’essoufflés, les liseurs attentifs et tous les tchatcheurs d’inutile. Rien que de la belle personne. Aux habits propres et aux mines pareilles.

Ici j’ai tout parcouru. Tout maté des curiosités d’ailleurs. Je les connais bien, moi, les allées de platanes et les contre allées de sapins dans les dédales du monde, j’y traîne ma carcasse depuis toujours, d’un continent à l’autre, sans valoche ni passeport, entre les  charmilles ombragées des guitounes à résidence, les façades de briques enlierrées et les bâtisses exotiques. Tel un globetrotter à la manque, un Tintin aux petits pieds. La vadrouille de plein air, c’est mon occupation quotidienne. Rassuré ici d’y croiser des résidents contents, des gamins prometteurs à la mine d’outremer et aux chaussures de sport qui font contraste avec mes vieilles godasses nationales, mes frusques et mon allure élimées. Eux, la jouvence souriante à l’avenir radieux et moi, le trimard sans futur à la démarche bancale et aux foulées minimalistes. M’en fous, ici, je trotte à mon pas et rêve de tour du monde. Avant de m’affaler dans le tendre et m’assoupir dans le tiède. Familier autant qu’eux de ce repaire végétal, je les regarde courir en rond, les expatriés volontaires, en sombrant dans mes songes improbables. De langues vivantes. Et de gai savoir.

C’est face à ce foutu château Moulinsart que j’ai délassé mes chaussures. Et basculé dans mon sommeil coutumier, les jambes au repos, planqué dans un buisson bordant, les yeux sur le fronton, les paupières en chute libre. J’aime ça, cet abandon forcé. Mes rêves de plein air sont les plus colorés. Portés par les tourments du vent, les gueulantes des mômes, le froufrou entêtant des feuilles. Des fréquences harmoniques propices à la songerie. Et au technicolor.

Quand le chien a gueulé entre mes grolles, j’ignorais sur quel rive du sommeil j’avais basculé. Le clébard, lui, aboyait à la régulière. Un braillard proche et lointain, façon souvenir ou rappel d’enfance. Son museau m’était familier. Sa truffe, son poil dur et blanc aussi. Même son nom me venait en bouche. Quelqu’un l’a prononcé avant moi. Et a récidivé. Milou. Une injonction forte mais bienveillante. Milou. Le doute était impossible. Surtout quand j’ai reluqué les bas du pantalon de l’appelant. Une étrangeté par ici. Le style golfeur y est guère porté. J’ai levé les yeux pour détailler le démodé. Et remarqué sur son front juvénile la houppette blonde. Même si les pires fantaisies capillaires séduisent la jeunesse d’alentour, ce toupet ridicule et pointu n’autorisait aucune confusion. Certitude renforcée par la bordée d’injures qui fusait du barbu à ses trousses. Au registre lexical un peu désuet. Avec une préférence pour l’insolite et le zoologique. Après j’ai repéré les deux moustachus aux costards sombres. D’où que viennent les uniformes, je les fuis spontanément. Y’a incompatibilité culturelle, entre nous. Pire qu’avec les chiens. Ceux-là marchaient à l’identique avec cane et chapeau, en se répétant l’un l’autre. J’ai pas bougé pour éviter l’affrontement. Et les volées de chaussures à clous. Je respirais à peine. Je les voyais tous s’approcher avec la mine défaite. Milou. Le clebs avait fini par lécher mes pompes. Les autres faisaient cercle devant moi comme face à un cadavre de bête. Le vieux prof sourdingue s’était joint au groupe. Je voyais plus le ciel, y’avait plus qu’eux. Eux tous.

Quand le type à la caméra épaule a fait le tour des acteurs j’ai bien pensé que j’allais me prendre une belle avoinée. Mais foin de colère ou de savon, le lascar me fusillait de tout près avec son optique de cinéma. Géniale, on la garde, qu’il a gueulé, il est parfait ce mec.

Plus tard, autour des autres figurants, quand j’ai signé le contrat, j’ai découvert le nom du film en tournage. L’invité du château. Ça me plaisait bien, à moi, ici, pour une fois, le rôle-titre. Même si je me doutais un peu que c’était rien que du cinoche à comédie.


A propos de Gilles Verdet

Je suis né à Paris dans le quartier Ménilmontant en 1952. Études classiques chez les Bons Pères Oratoriens. Père de famille à vingt ans, je suis rentré tôt dans la vie active.

J’ai exercé beaucoup d’activités diverses, parmi lesquelles : disquaire, photographe, marchand de bière et whisky, dialoguiste pour la télévision, co-auteur documentaire.  Auteur de nouvelles. Et de romans noirs. Je vis et j’écris près du périphérique parisien. Le cerceau noir de la poésie urbaine. Parcours universitaire : Néant. Non Bachelier. Aucun diplôme. Autodidacte et vélodidacte quand le temps le permet.

J’ai publié :

  • Une arrière-saison en enfer, Série Noire, Gallimard
  • Larmes blanches, Buchet-Chastel
  • La sieste des hippocampes, Le Rocher, prix Prométhée de la nouvelle
  • Voici le temps des assassins, Jigal
  • Fausses routes, Rhubarbe, Grand Prix 2016 de La Nouvelle de La société des Gens de Lettres
  • Nouvelles dans ouvrage collectif et revue.

Raisons de ma participation : L’appât du gain.

Au sujet du 3ème concours 17 boulevard Jourdan

Le 3ème concours de récits 17 boulevard Jourdan s’est tenu de novembre 2015 à février 2016, invitant les participants à écrire une histoire réelle ou fictive, à la première personne, se passant à la Cité internationale et ayant pour thème « La Cité de la sérendipité », les hasards heureux.

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Le trésor de la Cité – 2ème prix anciens résidents

C’était une de ces nuits où le ciel de Paris semble couvert de coton et si proche du sol, que la lumière des réverbères pourrait à elle seule l’éclairer tout entier. L’air de la Cité avait ce quelque chose de particulier, avec à la fois la douce fraîcheur de l’automne, et le regard majestueux des Maisons, couvertes de nuit. Je goûtais avec délice cette atmosphère, et marchais à pas lents sans savoir vraiment si je me dirigeais vers la maison dans laquelle j’habitais alors, ou bien si j’allais au gré du hasard. Cela n’avait même pas d’importance. Les rares étudiants encore debout passaient à toute vitesse, silencieux et fuyant comme des ombres. La nuit était là, belle, et pour moi le temps n’avait plus d’heure. La Lune rendait les murs des bâtiments brillants comme de l’argent d’un côté, et sombres de l’autre, si bien que cette Cité que je connaissais depuis à peine quelques semaines, m’apparaissait toute changée. Les formes que l’on distingue le jour, ne sont la nuit que des masses confuses et maladroites, tandis que de nouveaux détails apparaissent. La nuit déforme, la nuit transforme, la nuit réinvente et crée. Je m’amusais à observer les Maisons, de part et d’autre du chemin. Un long mur de brique, presque sans fenêtre attira mon attention.

Je m’approchais, jusqu’à le toucher du bout des doigts, comme pour vérifier qu’il était bien réel. Depuis combien de temps ce mur est-il debout, combien de générations d’étudiants a-t-il abrité de ses bras rigides et froids? Tout en laissant libre court à mes pensées, je caressais la surface de briques, comme si elle pouvait me transmettre par son contact, tous les souvenirs de ses années d’existence. Il me semblait presque entendre murmurer en même temps des centaines d’histoires, qui s’entremêlaient dans un bruit confus. Tout à coup, ma main heurta quelque chose. Sur la droite, au niveau de mon épaule, le mur n’était pas lisse. Une des briques dépassait, rebelle parmi ses voisines soigneusement alignées. Étrange, et amusant aussi, qu’un monument de l’architecture aussi illustre puisse se permettre une erreur aussi grossière, que n’importe quel maçon même débutant pourrait éviter ! Je fis avec les doigts le tour de la brique, elle bougeait. À force d’efforts, elle finit par remuer de plus en plus, jusqu’à se détacher complètement. Dans le trou laissé béant, je distinguais une petite forme noire. Aussitôt, je plongeai ma main à l’intérieur, et j’en retirai un petit carnet, couvert de poussière. À ce moment précis, une porte s’ouvrit, et des gens en sortirent bruyamment. Je remis à toute vitesse la brique en place, et me dirigeai vers ma Maison, tremblant d’excitation devant cette découverte inattendue.

Je posai le carnet sur mon bureau, et l’ouvris enfin, avec délicatesse…toutes les feuilles étaient blanches ! Non, au milieu du carnet se trouvait un petit texte ; voici ce qu’il disait :

Toi qui m’a libéré d’entre ces si vieilles pierres

Je vais te confier mon secret, dont je suis tellement fier

Il est caché dans la Cité un extraordinaire trésor

Plus précieux que les perles, les diamants et l’or

Si tu espères le trouver, il te faudra découvrir

Parler, voir, danser, raconter, chanter et rire

De la Fondation Hellénique à la Maison du Japon

J’ai caché mille indices, dans chaque Maison.

Cette nuit-là je ne dormis pas beaucoup, les mots s’entrechoquaient dans ma tête: un trésor dans la Cité ! Des richesses accumulées par des générations d’étudiants, mais comment le dénicher ? Le poème me disait d’aller de Maison en Maison, et, si j’avais bien compris, d’y chercher les « indices » qui s’y trouvaient. J’étais alors dans le Comité des étudiants, ce qui était un prétexte tout trouvé pour prendre contact avec les autres Maisons, car il y a toujours des choses à organiser. Moi qui étais d’un naturel discret et timide, je troquai ma vie sobre et monotone contre le costume d’une vie passionnément active.

Toute occasion était bonne : clubs, sport, expositions, concerts, fêtes traditionnelles, je rencontrais une multitude de personnes de tous les pays du monde. Cette chasse au trésor m’excitait au delà de ce que j’avais pu imaginer et me consumait tout entier, comme un feu d’amour qui, bien qu’il brûle en permanence ne cesse pourtant pas. Au début, je posais des questions trop précises sur les potentiels secrets des Maisons, mais je m’aperçus bien vite que cela ne menait à rien. J’appris à raconter des histoires qui amenaient d’autres histoires, et je trouvais des choses incroyables sur les différentes cultures, sur les gens, et sur moi-même car il me fallait me découvrir en même temps que je découvrais les autres. Les mois passaient, et pas le moindre indice, pas de « chambres secrètes », pas de « passages souterrains », pas de cheminée à coulisse dans laquelle on aurait pu y dissimuler un grand coffre rempli de bijoux. Je commençai à perdre espoir. Personne n’avait la moindre informations, et pour tout dire, personne d’autre que moi ne semblait s’y intéresser. Puis le jour de la Fête de la Cité arriva. Tout était en ébullition, on aurait dit que la Cité se libérait violemment de ses ultimes forces, avant se s’endormir pour l’été.

Le dernier soir, je restai éloigné du tumulte, plongé dans mes pensées, assis sur un banc, le carnet noir dans les mains. Un peu triste. Un groupe d’amis m’aperçut, et ils m’entourèrent aussitôt de bras, de blagues, et d’accents de toutes sortes, dont certains un peu exagérés, pour me faire rire. « Qu’est-ce que tu fais là, y a-t-il quelque chose de plus important que d’être avec tes amis ? ». Je ne trouvais rien à répondre. Et puis, en un éclair je compris, et resta béat. Archimède dans sa baignoire ne deoit pas avoir eu d’expression du visage différente que la mienne à ce moment-là. En fait non, il n’y a rien de plus important. Toutes les richesses du monde ne peuvent pas dépasser l’amour que les autres nous portent. Une rencontre est un trésor, un sourire est un trésor, vivre ensemble est un trésor, l’autre est un trésor. Pour le découvrir, il suffit de parler, voir, danser, raconter, chanter et rire, et il sera là.

Je regardais mes amis s’éloigner en éclats de voix, avec la promesse de les rejoindre très vite.

Avant, j’avais juste un petit travail de maçonnerie à faire.


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L’île aux Centaures – Luz Tecta – 2ème prix résidents

Comme les étoiles apparaissent puis disparaissent (d’où vient cette tendresse ?)
Marina Tsvetaeva

La mélodie du Centaure qui danse, joueur d’aulos ancêtre du hautbois, a disparu dans la nuit des siècles. Pourtant, quand je me promène du côté de la Fondation Hellénique, les accents de ces statues hybrides me renvoient la pérennité d’un éclat. Aussi, lorsque tes yeux croisent les miens au détour d’une seconde, à l’interstice, il me semble encore y entendre le vertige des ombres de ce soir-là dans le hall de la Maison Internationale. Je ferme les yeux pour isoler ce vertige, pour l’enfermer, le retenir dans la pierre du souvenir comme un talisman. Mais combien de temps vivent les pierres ? Jusqu’où peut s’étendre le frémissement attentif d’une ombre ? Peut-être à l’ensemble des arbres du parc et même au grand chœur matinal des oiseaux. On dit des perruches vertes à collier qui ont l’habitude de se poser sur le chêne de la Fondation Argentine qu’elles sont une espèce invasive, une plaie dit-on, et je pense à cette autre plaie qu’un certain poète a nommée déchirement sonore.

Cependant revenons-en au début, à la mélodie perdue des Centaures et au vertige d’un soir où on s’est retrouvés pour une quelconque raison seuls dans cette salle marmoréenne, assis l’un près de l’autre sur un banc en bois sculpté. Revenons à la pénombre silencieuse de minuit, à l’heure incertaine où la lumière et l’obscur ont chuchoté quelque chose qui ressemblait à de la musique ou de la poésie. Alors on s’est tus, on est restés là sans bouger et on a continué à se taire un moment. Les jours suivants je me suis amusée, parfois douloureusement, à poursuivre l’étrange harmonie propagée par le bec jaune-orangé d’un merle puis rompue sous le poids des branches renversées du cèdre bleu pleureur, sous lequel un autre soir on ne s’est pas embrassés. Car oui, j’oubliais, ta fiancée t’attend à Buenos Aires.

La suite de ce récit nous conduit à présent dans un rêve. En proie à la mélancolie la plus naïve, du reste assez commune chez une étudiante en lettres, j’avais passé une partie de la nuit à sangloter dans ma chambre. Le matin, exténuée par les heures d’insomnie, je décidai de dormir une heure de plus avant le déjeuner. Le sommeil me plongea dans un décor préhistorique ostentatoire, où le campus n’était pas une œuvre architecturale, mais un immense aérolithe, un minéral gigantesque creusé de galeries rudimentaires où des personnes affairées, vêtues de toges en peau de bête allaient et venaient. Le titanesque bloc de pierre se mit soudain à trembler, annonçant une nouvelle extraordinaire. Tout le monde fut dépassé par une joie unanime, et je courus vers toi dans un élan d’enthousiasme pour t’entraîner vers la sortie. Seulement tu m’as arrêtée dans mon élan et on s’est retrouvés face à face sur le seuil de la porte. N’est-il pas redondant d’évoquer le caractère fortuit de ce qui déroule dans l’univers des songes ? Certainement, néanmoins je déclare la découverte hasardeuse fut-elle un songe, d’un trésor inattendu.

J’ai dit face à face après que tu aies freiné la chevaleresque euphorie avec laquelle je comptais t’emmener au-delà des grilles de la porte et au-delà de toute grille et de toute porte au-delà… Tandis qu’autour de nous un tourbillon scandait le refrain nouveau, nous étions comme deux sourds absorbés l’un par l’autre jusqu’à ce que tu engages une lutte, titanesque elle aussi. D’une main tu me saisis la nuque, de l’autre la joue gauche en m’attirant vers toi pour déposer un interminable baiser sur ma joue droite. En vain je tentai de me libérer de ce geste et plus je te repoussais plus tu appuyais avec force tes lèvres sur mon visage, plus cette étreinte épousait les traits inaudibles d’un amour qui n’est pas une évasion mais bien un déchirement sonore, une mélodie des arcanes qui ne saurait être perdue. Depuis la nuit des siècles, les Centaures de cette île merveilleuse que l’on appelle la Cité en sont les gardiens fidèles.


 

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Citez le Hasard – Thomas Portier-Feunteun – 3ème prix grand public

C’est fou comme on parle toujours mieux de tristesse. Le bonheur est simple, si simple même qu’on néglige souvent d’en parler. Ne faisons pas cette erreur, voilà ce qu’on pourrait en lire le temps d’un café… et d’un sourire.

J’étais là presque par hasard.
Juste débarquée du RER, encore un peu perdue, je traversai la ligne de Tramway, remontant mon sac à l’épaule, et semblai changer de monde –c’est un peu, je crois, ce que durent ressentir Harry Potter, Hermione ou Ron Weasley ; ici, d’une façon qui semble merveilleuse, ma vie allait changer.

J’avançais dans mon « Poudlard à moi », impressionnée. Les bâtiments, que je m’appropriais petit à petit en m’approchant, étaient grands. J’étais surprise de leur trouver ce charme un peu désuet, cette dignité propre qu’on imagine mieux cachés par la forêt d’un grand domaine qu’ici, à côté du periph’.

Je vins jusqu’à la grille noire pour la première fois en desserrant un peu l’écharpe de mon cou, il ne faisait pas si froid.  L’air bruissait, il faisait beau sur les toits et les murs, autour de moi les gens passaient, certains en tenue de sport, d’autres, le pas plus lent, avaient simplement l’air de se balader.

Et je sentais proche ce parc dont on m’avait parlé ; proche, vert et confortable.

Prenant une grande inspiration je franchis la grille et commençai à gravir les marches qui mènent à la cour : ici tout m’était neuf, quel sentiment ! Quelle liberté !

Dans la cour m’attendait un rhinocéros empalé.

Un peu surprise mais amusée, je contournai la sculpture et son étrange violence pour monter vers le corps de bâtiment principal.

Alors je regardai autour de moi et sentis que cette endroit deviendrait le mien, que j’allais vivre ici. Une angoisse que je n’avais pas remarquée s’envolait et je me sentais bien, le sourire aux lèvres.

Je me souviens d’un autre jour, j’avançais maussade, hâtant le pas vers le gymnase, me renfrognant intérieurement contre l’eau qui me pleuvait dessus et qui mouillait progressivement mes cheveux sans capuche.

Et, quand je longeai la maison du Mexique, sous le regard du bas-relief que l’opinion s’acharne encore à définir comme maya ou aztèque, survint une feuille portée par quelque brise : elle était un peu brunie, sa danse hasardeuse, alourdie par l’eau, rendue collante. Elle passait par hasard et n’avait aucun intérêt. Je la suivis pourtant des yeux jusqu’à ce qu’elle soit loin et que –Boum !- on ose me rentrer dedans.

Mi-amusée, mi-agacée à l’idée de vivre une scène de film je me demandai un instant si c’était là le chemin que prenait l’amour pour entrer dans ma vie. Quel était cet homme qui m’attendait là ? Etait-il grand, blond, la mâchoire un peu carrée, avec des fossettes mais pas trop et le regard doux aux yeux clairs qui me séduirait instantanément ?

Prête à lui en vouloir d’être venu sans prévenir mais ne voulant pas rater ma chance j’hésitais encore entre la mauvaise humeur et le charme en relevant les yeux. C’était une fille !

J’allais définitivement opter pour la mauvaise humeur mais elle me sourit ; j’aime bien quand on me sourit. Et dans un sursaut de sociabilité qui ne se prévoyait pas je lui rendis son sourire. Ce fût bien, je crois ; elle s’appelait Wiebke, une fille grande, blonde, la mâchoire un peu carrée – le parallèle m’amuse encore – et, pour les six mois qu’elle resta en France et qui passèrent follement entre la bibliothèque, la maison de la Tunisie où elle habitait et les bars parisiens, elle devint ma meilleure amie. Elle demeure aujourd’hui ce que l’Allemagne m’a offert de plus chaleureux.

Une autre fois encore je flânais, je dispersais un peu de mon temps au hasard de mes pas en savourant l’atmosphère d’une soirée libre et calme. Je crus discerner, en tournant un coin de mur, une musique. L’orchestre répétait dans ce bâtiment et par une grâce inattendue j’entendais distinctement ce qu’il jouait.

Je vécus, appuyé contre le mur, regardant le soir tomber, le plus paisible et émouvant des concerts privés que l’on peut se figurer.

Plus tard, un week-end que Wiebke passait chez sa famille, je savourais à la cafet’ un peu de solitude. Avec une tasse de café et mon ordinateur je méditais en traînant sur Facebook. J’échangeais quelques « likes » de bon procédé – fidèle à la sacro-sainte loi du « je te like, tu me likes » – en lisant quelques articles qui parlaient de cet homme qu’il nous faut, à nous les femmes. Je cite « mi Hugues Grant, mi 50cents et les abdos de Rayan Gosling »…certes.

Au moment de partir je pris mon ticket de caisse et remarquai un gribouillis au dos, un smiley. Je relevai la tête en cherchant des yeux puis finis par tomber sur un sourire qui m’attendait près de la porte. Je le rejoins, me sentant rougir un peu je souriais aussi.

J’ai jeté le ticket mais j’ai gardé le sourire et le garçon qui était derrière. Je ne l’ai jamais regretté.

Alors je continue à garder toutes ces choses que l’on ne cherche pas mais qu’on trouve. Et je me vois souvent heureuse, presque par hasard.


A propos de Thomas Portier-Feunteun

J’ai toujours été parisien, je ne sais pas si c’est le meilleur début d’une présentation mais je suis né à Paris, je fais mes études à Paris et je mourrais probablement à Paris. Sans doute sur la rive gauche.

J’aurais fini par croire que ce parcours se ferait sans pause si je n’avais pas, dans un mouvement un peu vif, décidé d’un an d’ERASMUS en Allemagne, à Heidelberg. Cette année à l’étranger, en plus d’avoir été l’une des meilleures années de ma vie, m’a donné, en m’ouvrant sur le monde, un grand appétit de voyage, un goût pour les langues étrangères et pour l’international.

Non, ce que j’écris n’est pas tout à fait vrai, ce goût de voyage je l’avais déjà : la grande curiosité qui le traduisait, contenue dans ma chambre, se satisfaisait dans mes livres, des livres de toutes sortes et en grande quantité.

J’étais un lecteur frénétique, boulimique, puis je me suis calmé comme on le fait parfois en vieillissant, appréciant non plus la quantité mais la qualité voir l’originalité. Mais je ne suis pas vieux, pas encore ! Et si l’on rapporte mon âge de raison littéraire à celui des enfants de sept ans, je suis bien, littérairement du moins, l’un d’entre eux.

Ainsi, comme un enfant gourmant traînant dans la cuisine, à force de goûter la pâte, finit par préparer ses propres gâteaux, comme un enfant gourmand, peut-on dire, j’ai commencé à écrire. J’ai aimé cela, secrètement d’abord, mettant une intention littéraire discrète et malicieuse derrière chaque devoir rendu, chaque post-it rédigé à mon voisin de bibliothèque, et puis de moins en moins, écrivant pour écrire, sans autre prétexte que le plaisir de le faire.

Une telle transition ne se garde pas longtemps pour elle et, comme le chaton qui se lasse de jouer avec sa propre queue, une écriture qui se construit se tourne vers l’extérieur. Elle cherche à être appréciée –dans les deux sens du terme- le plus objectivement. C’est en partie ce que j’ai voulu trouver dans ce concours.

Enfin, pour ajouter quelques détails qui manqueraient à l’exactitude de ce portrait, un mot sur ma famille et mes études. Je suis né le seul garçon d’une portée de triplés qui rejoignait ma grande sœur et mes parents, pour le meilleurs n’en doutons pas – ils n’ont jamais failli face au nombre cela suffit à faire leur gloire. Et je me suis retrouvé à 18 ans avec deux sujets de prédilection : la littérature et la biologie humaine. Des deux carrières qui s’offraient alors à moi, j’ai pris la plus facile et j’ai commencé mes études de médecine ; pariant qu’il était plus simple d’être un médecin qui lit et écrit un peu, qu’un professeur de littérature qui opère et ausculte de temps en temps.

Au sujet du 3ème concours 17 boulevard Jourdan

Le 3ème concours de récits 17 boulevard Jourdan s’est tenu de novembre 2015 à février 2016, invitant les participants à écrire une histoire réelle ou fictive, à la première personne, se passant à la Cité internationale et ayant pour thème « La Cité de la sérendipité », les hasards heureux.

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Un soir d’août à la Cité U, ou comment j’ai été prise au dépourvu dans un hall d’entrée… – Nathalie Saleh – 3ème prix anciens résidents

Afin de raconter mon histoire, je dois remonter quelques années dans le temps, et plus précisément, jusqu’à un certain cinq août de l’année 2011. Ce devait être un vendredi. Ce n’est pas une histoire spectaculaire, c’est juste une histoire vraie, celle du jour où j’ai rencontré mon âme sœur.

Nous sommes donc en août, et je suis de passage pour quelques jours à la maison du Liban, à la Cité internationale universitaire de Paris. Je séjourne chez mon amie d’enfance. C’est ma première visite de Paris, l’euphorie de l’exploration.

Ce soir-là, je rentre à la maison, la tête pleine de mes découvertes parisiennes, l’esprit vagabondant vers les cinq heures que je viens de passer à arpenter le musée d’Orsay, jusqu’à ce que le signal de fermeture ne m’oblige à m’en aller. Une silhouette est assise dans la pénombre du hall d’entrée. Au début je n’y prête pas attention, mais elle bouge et parle d’une voix grave en s’adressant à mon amie.

«  Merci, princesse », lui dit-elle en lui embrassant la main d’un geste courtois. Quel personnage bizarre ! Il faudrait l’informer que l’on est au 21e siècle ! Tout ça parce qu’elle lui avait prêté de la monnaie pour utiliser la laverie. Je m’approche et nous discutons avec deux autres résidentes de la maison. Le hall d’entrée comme lieu de rencontres les plus anodines, et les plus belles aussi. Notre discussion se poursuit au sous-sol, dans une grande salle quasiment vide, meublée d’un piano, d’une table de ping-pong, de quelques chaises. Drôle de mélange. Nous tenons compagnie à l’une des résidentes pendant qu’elle fait sa lessive. Je suis intriguée par ce garçon. Il fait des blagues sur le prix des battes, qui doit exploser sur internet, à cause des émeutes en Angleterre. Il n’a pas peur de monter dans les décibels lorsqu’il s’esclaffe de son rire contagieux.

« – Tu habites ici ?
– Non, je fais un stage à Barcelone.
– Ça se voit, » dit-il, faisant allusion, très impressionné, à mon teint hâlé.

Il est vrai que je détonne par rapport à ces parisiens qui ne connaissaient que pluie et grisaille quelques jours plus tôt. Il me demande si Paris me plaît. Bien sûr ! Je n’attendais que ça pour me lancer dans le récit de mes découvertes. Niki de Saint Phalle au centre Pompidou, ma sieste l’après-midi sur l’herbe de la place des Vosges, baignée par la lumière du soleil couchant. Ses yeux brillent d’un sourire malin.

« – Tu n’as pas visité Montmartre ? »

Non, je n’ai pas visité Montmartre. « Si tu veux, je t’y emmène.»

Je demande aux autres s’ils veulent nous rejoindre, mais ils préfèrent rester chez eux. Tant mieux. Ce n’est qu’en prenant le dernier métro que je réalise l’heure qu’il est. Une heure du matin passée ! Les rames vides nous accueillent, et nous avançons de l’une à l’autre comme si le train nous appartenait.

La nuit passe vite, animée par un verre dans un bar de la place de Clichy, une course sur les marches de Montmartre et le temps passé à parler en surplombant Paris du haut de la butte. Nous finissons par traverser le parc pour rentrer. Ce parc que j’ai maintes fois parcouru depuis. Ce soir-là, le ciel est dégagé, on peut voir les étoiles scintiller au-dessus de la grande pelouse centrale de la Cité Universitaire. On peut même voir la lune, chose rare dans cette ville comme je pus m’en rendre compte plus tard. Nous n’osons pas nous tenir la main, c’est trop tôt. Et lorsqu’il me dépose devant la porte du bâtiment des filles, je me dérobe en feignant l’empressement parce qu’il se fait tard.

Sans se poser trop de questions, les jours s’enchaînent, insouciants. Les soirées passées sur la pelouse de la Cité U, une guitare, un groupe d’amis, des chansons plein la tête. Les journées passées dans le parc Montsouris et les quartiers voisins, ensoleillés et trop courts.

Avant de partir, je lui dis que j’aimerais bien emporter un rectangle de pelouse avec moi, pour m’y allonger et regarder le ciel dès que j’en ai envie. A Beyrouth, il n’y a pas beaucoup de parcs publics.

Lorsque je prends l’avion à la fin de mon séjour, je ne pense pas que je le reverrai. Une rencontre spéciale mais rien de plus, j’en garderai un très bon souvenir me disais-je. Aujourd’hui, quelque quatre années plus tard, cette personne fait encore partie de ma vie. Et la Cité Universitaire, j’y suis retournée, mais cette fois en tant que résidente, quelques mois plus tard. Je me surprends quelque fois à repenser à ces moments précieusement gardés dans un coin de ma mémoire. Et à me demander combien de personnes auraient été réunies par le hasard dans cet endroit ? Dix, cent ? Dans d’autres circonstances, nous ne nous serions peut-être pas rencontrés, ou en tout cas, pas de manière aussi foudroyante. Il est des lieux qui gardent en nous une trace profonde.

Comme je l’ai dit auparavant, ce n’est pas une histoire spectaculaire, c’est juste une histoire vraie. L’histoire de ma drôle de rencontre dans un hall d’entrée sombre, un soir d’août, à la Cité Universitaire de Paris…


A propos de Nathalie Saleh

Diplômée en architecture de l’université américaine de Beyrouth, au Liban, je décide de poursuivre des études en urbanisme à Paris en 2012. Début d’un va-et-vient entre architecture et urbanisme, recherche et pratique. Après une année d’immersion au sein d’un laboratoire d’anthropologie, je travaille aujourd’hui dans une agence d’architectes, d’urbanistes et de paysagistes, rue de la Roquette.

Ma découverte de Paris est ancrée dans un lieu, la Cité Universitaire, où j’ai passé trois ans riches de rencontres et d’explorations personnelles. Le thème du concours de cette année m’a interpellée, c’était l’occasion inattendue pour moi de partager une expérience, de revivre à travers les mots les instants éphémères de cette rencontre. J’ai délaissé ma passion pour l’écriture au lycée, il est peut-être temps de la retrouver…

Au sujet du 3ème concours 17 boulevard Jourdan

Le 3ème concours de récits 17 boulevard Jourdan s’est tenu de novembre 2015 à février 2016, invitant les participants à écrire une histoire réelle ou fictive, à la première personne, se passant à la Cité internationale et ayant pour thème « La Cité de la sérendipité », les hasards heureux.

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La Cité des temps et chemins croisés – Isabella Gusmao Duarte – 3ème prix résidents

Lorsque j’ai roulé ma valise verte vers l’entrée de la Cité, l’extraordinaire se produisit : de tant partager le rêve familial, j’avais réussi à en faire partie. À l’intérieur de la valise, le rangement incroyablement réussi de quantité d’affaires, juste « l’essentiel » pour faire une année de thèse dans un nouveau pays et supporter la distance continentale qui me séparait de mes proches, métamorphosés dans des cadeaux-souvenirs soigneusement choisis ; à l’extérieur, un passé qui redevenait présent lorsque je bougeais lentement dans le cadre de la photo mille fois montrée par mes parents. Je sentais que de très beaux jours s’annonçaient dans cette perle de ville cachée dans la Ville. Mais je ne pouvais pas imaginer tous les trésors que je trouverais dans ses allées.

J’ai regardé le beau paysage devant moi comme pour la première fois. Tout était en même temps identique et complètement diffèrent. Chaque petit bruit du vent ou d’une feuille tombante, chaque fleur, chaque arbre, tout m’appelait comme pour me saluer et me dire que je n’étais pas une intruse dans ce monde enchanté. J’y avais maintenant une adresse. Pas nouvelle, d’ailleurs. Dans cette cartographie magique où le Brésil est à côté du Portugal et le Japon, à quelques mètres de l’Italie, ma Maison se trouvait exactement  dans le bout de chemin situé entre celles où avaient habité mon père et ma mère,  le même bout de chemin ou ils s’étaient connus pendant leur séjour à la Cité. J’étais émue avec cette joyeuse coïncidence qui redonnait du sens à ma vie errante, et puisque cette décision venait de la Maison du Portugal, où j’avais, grâce à ma double nationalité lusobrésilienne, déposé une demande de logement, je ne pouvais pas m’empêcher de penser que il s’agissait d’une plaisanterie de mon grand-père paternel portugais décédé il y a longtemps. En tout cas, en tant que sud-américaine, je ne pourrais jamais dédaigner la force des hasards heureux, la découverte de mon continent d’origine en étant un exemple. Évidemment je ne pourrais qu’habiter près de l’endroit de leur première rencontre, le point de départ de mon existence, pensais-je avec plaisir.

Un autre « cadeau de bienvenue » me serait donné un peu plus tard, quand j’ai rencontré au restaurant de la maison internationale une voisine qui commença à me parler avec enthousiasme de la chorale de la Cité. « Je ne savais pas qu’il y avait une chorale ici. Vous répétez où ? », demandai-je. « Au collège Franco-Britannique, les mercredis à vingt heures. En ce moment on répète les chansons de West Side Story. » Je frissonnai avec ce nouveau signe du destin. Elle parlait de l’ancienne maison de ma mère, et des chansons que mon père, lui, jouait au piano ! À ce moment-là, j’étais convaincue de bien appartenir à cette cité magique, et j’éprouvai la sérénité d’esprit de ceux qui ont la certitude d’être au bon endroit. Néanmoins, lorsque je quittai mon amie, quelque chose commença à me troubler. Tout ce qui m’arrivait me rendait heureuse, mais ça me donnait l’impression d’être dans la continuation d’une histoire déjà commencée, dont je n’étais pas la protagoniste. Il fallait que je trouve le point d’origine de ma propre histoire.

Je commence à me promener dans le grand parc de la Cité ; ça m’apaise et m’aide à avoir de bonnes idées pour la thèse que je suis en train de préparer. Lorsque je passe devant la Maison de l’Allemagne, une petite affiche par terre attire mon attention. J’y lis en groscaractères « Conférence-débat sur Das Buch gegen den Tod, d’Elias Canetti ». La date est celle d’aujourd’hui. Je regarde cette petite affiche comme si j’avais trouvé de l’or. Canetti, c’est l’auteur dont j’étudie le théâtre ! Et le sujet de l’ouvrage citée, la mort, constitue précisément le thème de ma recherche. J’attends avec impatience le début de la conférence. Au moment où le médiateur fait la présentation des participants. Je me réjouis d’y voir quelques uns des théoriciens les plus importants de la pensée canetienne, qui parlent non seulement de l’ouvrage en débat, mais de beaucoup d’autres aussi, en proposant un nouvel éclairage sur leur contenu.

A la fin de la longue discussion, lorsque la salle commence à se vider, je vois les conférenciers qui restent encore autour de la table, en échangeant quelques mots. J’ai une envie folle d’aller leur parler et prendre leurs coordonnées, mais ayant peur de les interrompre, je me retiens. « C’était bien , n’est-pas ? »,  dit un jeune homme assis à mon côté. « Parfait ! » , je réponds, J’entame une conversation avec lui et emballée par le sujet, je perds de vue les messieurs à qui je veux parler. Tant pis ! Et je continue à bavarder avec mon interlocuteur. Tout d’un coup, je vois l’un des conférenciers qui arrive et commence à participer à notre discussion, en nous racontant des choses sur Canetti qu’on ne trouve pas dans les livres : « Canetti avait un tempérament, lui. Je me souviens encore du jour ou je lui ai demandé s’il avait lu tous les livres de sa bibliothèque. Il était très énervé », dit-il en souriant, avant de rajouter d’autres détails sur le caractère de son ami. Moi, je souris aussi, car j’ai le privilège d’écouter quelqu’un qui a vraiment connu cet auteur fascinant, que je redécouvre dans toute son humanité. Et je me rends compte que je ne suis plus dans la Cité du passé de mes parents, je suis dans la Cité de mon avenir.


A propos d’Isabella Gusmao Duarte

Diplômée en Communication Sociale à la Pontifícia Universidade Católica do Rio de Janeiro et en Lettres Modernes, parcours Théâtre à l’Université Sorbonne Nouvelle, j’y suis actuellement doctorante en Études Théâtrales. Ma thèse porte sur les enjeux de la mort dans le théâtre d’Elias Canetti, recherche que j’ai entamée en Master 1, avant d’effectuer une mobilité à Munich.

Rédactrice et traductrice freelance, collaboratrice du blog J’ai un accent et récemment membre du comité de lecture de la revue Traits-d’Union, j’aime écrire des scénarios et des contes. Deux d’entre eux ont été publiés dans les deux premières anthologies 17 boulevard Jourdan. Participer à ces concours me permet de me consacrer à une activité doublement plaisante : écrire de la fiction et écrire sur la Cité, à laquelle, en tant que résidente et fille d’anciens résidents, je me sens particulièrement attachée.

Au sujet du 3ème concours 17 boulevard Jourdan

Le 3ème concours de récits 17 boulevard Jourdan s’est tenu de novembre 2015 à février 2016, invitant les participants à écrire une histoire réelle ou fictive, à la première personne, se passant à la Cité internationale et ayant pour thème « La Cité de la sérendipité », les hasards heureux.

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Teaser 1 – Vous croyez vraiment connaître la Cité internationale ?

L’Alliance Internationale vous donne rendez-vous le 21 novembre pour un évènement surprenant.
Merci à Oana Besnea @BesneaOana qui a prêté sa silhouette pour cette vidéo.
Merci à @edithfrost pour la musique edithfrost.com/