C’était une de ces nuits où le ciel de Paris semble couvert de coton et si proche du sol, que la lumière des réverbères pourrait à elle seule l’éclairer tout entier. L’air de la Cité avait ce quelque chose de particulier, avec à la fois la douce fraîcheur de l’automne, et le regard majestueux des Maisons, couvertes de nuit. Je goûtais avec délice cette atmosphère, et marchais à pas lents sans savoir vraiment si je me dirigeais vers la maison dans laquelle j’habitais alors, ou bien si j’allais au gré du hasard. Cela n’avait même pas d’importance. Les rares étudiants encore debout passaient à toute vitesse, silencieux et fuyant comme des ombres. La nuit était là, belle, et pour moi le temps n’avait plus d’heure. La Lune rendait les murs des bâtiments brillants comme de l’argent d’un côté, et sombres de l’autre, si bien que cette Cité que je connaissais depuis à peine quelques semaines, m’apparaissait toute changée. Les formes que l’on distingue le jour, ne sont la nuit que des masses confuses et maladroites, tandis que de nouveaux détails apparaissent. La nuit déforme, la nuit transforme, la nuit réinvente et crée. Je m’amusais à observer les Maisons, de part et d’autre du chemin. Un long mur de brique, presque sans fenêtre attira mon attention.
Je m’approchais, jusqu’à le toucher du bout des doigts, comme pour vérifier qu’il était bien réel. Depuis combien de temps ce mur est-il debout, combien de générations d’étudiants a-t-il abrité de ses bras rigides et froids? Tout en laissant libre court à mes pensées, je caressais la surface de briques, comme si elle pouvait me transmettre par son contact, tous les souvenirs de ses années d’existence. Il me semblait presque entendre murmurer en même temps des centaines d’histoires, qui s’entremêlaient dans un bruit confus. Tout à coup, ma main heurta quelque chose. Sur la droite, au niveau de mon épaule, le mur n’était pas lisse. Une des briques dépassait, rebelle parmi ses voisines soigneusement alignées. Étrange, et amusant aussi, qu’un monument de l’architecture aussi illustre puisse se permettre une erreur aussi grossière, que n’importe quel maçon même débutant pourrait éviter ! Je fis avec les doigts le tour de la brique, elle bougeait. À force d’efforts, elle finit par remuer de plus en plus, jusqu’à se détacher complètement. Dans le trou laissé béant, je distinguais une petite forme noire. Aussitôt, je plongeai ma main à l’intérieur, et j’en retirai un petit carnet, couvert de poussière. À ce moment précis, une porte s’ouvrit, et des gens en sortirent bruyamment. Je remis à toute vitesse la brique en place, et me dirigeai vers ma Maison, tremblant d’excitation devant cette découverte inattendue.
Je posai le carnet sur mon bureau, et l’ouvris enfin, avec délicatesse…toutes les feuilles étaient blanches ! Non, au milieu du carnet se trouvait un petit texte ; voici ce qu’il disait :
Toi qui m’a libéré d’entre ces si vieilles pierres
Je vais te confier mon secret, dont je suis tellement fier
Il est caché dans la Cité un extraordinaire trésor
Plus précieux que les perles, les diamants et l’or
Si tu espères le trouver, il te faudra découvrir
Parler, voir, danser, raconter, chanter et rire
De la Fondation Hellénique à la Maison du Japon
J’ai caché mille indices, dans chaque Maison.
Cette nuit-là je ne dormis pas beaucoup, les mots s’entrechoquaient dans ma tête: un trésor dans la Cité ! Des richesses accumulées par des générations d’étudiants, mais comment le dénicher ? Le poème me disait d’aller de Maison en Maison, et, si j’avais bien compris, d’y chercher les « indices » qui s’y trouvaient. J’étais alors dans le Comité des étudiants, ce qui était un prétexte tout trouvé pour prendre contact avec les autres Maisons, car il y a toujours des choses à organiser. Moi qui étais d’un naturel discret et timide, je troquai ma vie sobre et monotone contre le costume d’une vie passionnément active.
Toute occasion était bonne : clubs, sport, expositions, concerts, fêtes traditionnelles, je rencontrais une multitude de personnes de tous les pays du monde. Cette chasse au trésor m’excitait au delà de ce que j’avais pu imaginer et me consumait tout entier, comme un feu d’amour qui, bien qu’il brûle en permanence ne cesse pourtant pas. Au début, je posais des questions trop précises sur les potentiels secrets des Maisons, mais je m’aperçus bien vite que cela ne menait à rien. J’appris à raconter des histoires qui amenaient d’autres histoires, et je trouvais des choses incroyables sur les différentes cultures, sur les gens, et sur moi-même car il me fallait me découvrir en même temps que je découvrais les autres. Les mois passaient, et pas le moindre indice, pas de « chambres secrètes », pas de « passages souterrains », pas de cheminée à coulisse dans laquelle on aurait pu y dissimuler un grand coffre rempli de bijoux. Je commençai à perdre espoir. Personne n’avait la moindre informations, et pour tout dire, personne d’autre que moi ne semblait s’y intéresser. Puis le jour de la Fête de la Cité arriva. Tout était en ébullition, on aurait dit que la Cité se libérait violemment de ses ultimes forces, avant se s’endormir pour l’été.
Le dernier soir, je restai éloigné du tumulte, plongé dans mes pensées, assis sur un banc, le carnet noir dans les mains. Un peu triste. Un groupe d’amis m’aperçut, et ils m’entourèrent aussitôt de bras, de blagues, et d’accents de toutes sortes, dont certains un peu exagérés, pour me faire rire. « Qu’est-ce que tu fais là, y a-t-il quelque chose de plus important que d’être avec tes amis ? ». Je ne trouvais rien à répondre. Et puis, en un éclair je compris, et resta béat. Archimède dans sa baignoire ne deoit pas avoir eu d’expression du visage différente que la mienne à ce moment-là. En fait non, il n’y a rien de plus important. Toutes les richesses du monde ne peuvent pas dépasser l’amour que les autres nous portent. Une rencontre est un trésor, un sourire est un trésor, vivre ensemble est un trésor, l’autre est un trésor. Pour le découvrir, il suffit de parler, voir, danser, raconter, chanter et rire, et il sera là.
Je regardais mes amis s’éloigner en éclats de voix, avec la promesse de les rejoindre très vite.
Avant, j’avais juste un petit travail de maçonnerie à faire.
Au sujet du 3ème concours 17 boulevard Jourdan
Le 3ème concours de récits 17 boulevard Jourdan s’est tenu de novembre 2015 à février 2016, invitant les participants à écrire une histoire réelle ou fictive, à la première personne, se passant à la Cité internationale et ayant pour thème « La Cité de la sérendipité », les hasards heureux.
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