Citez le Hasard – Thomas Portier-Feunteun – 3ème prix grand public

C’est fou comme on parle toujours mieux de tristesse. Le bonheur est simple, si simple même qu’on néglige souvent d’en parler. Ne faisons pas cette erreur, voilà ce qu’on pourrait en lire le temps d’un café… et d’un sourire.

J’étais là presque par hasard.
Juste débarquée du RER, encore un peu perdue, je traversai la ligne de Tramway, remontant mon sac à l’épaule, et semblai changer de monde –c’est un peu, je crois, ce que durent ressentir Harry Potter, Hermione ou Ron Weasley ; ici, d’une façon qui semble merveilleuse, ma vie allait changer.

J’avançais dans mon « Poudlard à moi », impressionnée. Les bâtiments, que je m’appropriais petit à petit en m’approchant, étaient grands. J’étais surprise de leur trouver ce charme un peu désuet, cette dignité propre qu’on imagine mieux cachés par la forêt d’un grand domaine qu’ici, à côté du periph’.

Je vins jusqu’à la grille noire pour la première fois en desserrant un peu l’écharpe de mon cou, il ne faisait pas si froid.  L’air bruissait, il faisait beau sur les toits et les murs, autour de moi les gens passaient, certains en tenue de sport, d’autres, le pas plus lent, avaient simplement l’air de se balader.

Et je sentais proche ce parc dont on m’avait parlé ; proche, vert et confortable.

Prenant une grande inspiration je franchis la grille et commençai à gravir les marches qui mènent à la cour : ici tout m’était neuf, quel sentiment ! Quelle liberté !

Dans la cour m’attendait un rhinocéros empalé.

Un peu surprise mais amusée, je contournai la sculpture et son étrange violence pour monter vers le corps de bâtiment principal.

Alors je regardai autour de moi et sentis que cette endroit deviendrait le mien, que j’allais vivre ici. Une angoisse que je n’avais pas remarquée s’envolait et je me sentais bien, le sourire aux lèvres.

Je me souviens d’un autre jour, j’avançais maussade, hâtant le pas vers le gymnase, me renfrognant intérieurement contre l’eau qui me pleuvait dessus et qui mouillait progressivement mes cheveux sans capuche.

Et, quand je longeai la maison du Mexique, sous le regard du bas-relief que l’opinion s’acharne encore à définir comme maya ou aztèque, survint une feuille portée par quelque brise : elle était un peu brunie, sa danse hasardeuse, alourdie par l’eau, rendue collante. Elle passait par hasard et n’avait aucun intérêt. Je la suivis pourtant des yeux jusqu’à ce qu’elle soit loin et que –Boum !- on ose me rentrer dedans.

Mi-amusée, mi-agacée à l’idée de vivre une scène de film je me demandai un instant si c’était là le chemin que prenait l’amour pour entrer dans ma vie. Quel était cet homme qui m’attendait là ? Etait-il grand, blond, la mâchoire un peu carrée, avec des fossettes mais pas trop et le regard doux aux yeux clairs qui me séduirait instantanément ?

Prête à lui en vouloir d’être venu sans prévenir mais ne voulant pas rater ma chance j’hésitais encore entre la mauvaise humeur et le charme en relevant les yeux. C’était une fille !

J’allais définitivement opter pour la mauvaise humeur mais elle me sourit ; j’aime bien quand on me sourit. Et dans un sursaut de sociabilité qui ne se prévoyait pas je lui rendis son sourire. Ce fût bien, je crois ; elle s’appelait Wiebke, une fille grande, blonde, la mâchoire un peu carrée – le parallèle m’amuse encore – et, pour les six mois qu’elle resta en France et qui passèrent follement entre la bibliothèque, la maison de la Tunisie où elle habitait et les bars parisiens, elle devint ma meilleure amie. Elle demeure aujourd’hui ce que l’Allemagne m’a offert de plus chaleureux.

Une autre fois encore je flânais, je dispersais un peu de mon temps au hasard de mes pas en savourant l’atmosphère d’une soirée libre et calme. Je crus discerner, en tournant un coin de mur, une musique. L’orchestre répétait dans ce bâtiment et par une grâce inattendue j’entendais distinctement ce qu’il jouait.

Je vécus, appuyé contre le mur, regardant le soir tomber, le plus paisible et émouvant des concerts privés que l’on peut se figurer.

Plus tard, un week-end que Wiebke passait chez sa famille, je savourais à la cafet’ un peu de solitude. Avec une tasse de café et mon ordinateur je méditais en traînant sur Facebook. J’échangeais quelques « likes » de bon procédé – fidèle à la sacro-sainte loi du « je te like, tu me likes » – en lisant quelques articles qui parlaient de cet homme qu’il nous faut, à nous les femmes. Je cite « mi Hugues Grant, mi 50cents et les abdos de Rayan Gosling »…certes.

Au moment de partir je pris mon ticket de caisse et remarquai un gribouillis au dos, un smiley. Je relevai la tête en cherchant des yeux puis finis par tomber sur un sourire qui m’attendait près de la porte. Je le rejoins, me sentant rougir un peu je souriais aussi.

J’ai jeté le ticket mais j’ai gardé le sourire et le garçon qui était derrière. Je ne l’ai jamais regretté.

Alors je continue à garder toutes ces choses que l’on ne cherche pas mais qu’on trouve. Et je me vois souvent heureuse, presque par hasard.


A propos de Thomas Portier-Feunteun

J’ai toujours été parisien, je ne sais pas si c’est le meilleur début d’une présentation mais je suis né à Paris, je fais mes études à Paris et je mourrais probablement à Paris. Sans doute sur la rive gauche.

J’aurais fini par croire que ce parcours se ferait sans pause si je n’avais pas, dans un mouvement un peu vif, décidé d’un an d’ERASMUS en Allemagne, à Heidelberg. Cette année à l’étranger, en plus d’avoir été l’une des meilleures années de ma vie, m’a donné, en m’ouvrant sur le monde, un grand appétit de voyage, un goût pour les langues étrangères et pour l’international.

Non, ce que j’écris n’est pas tout à fait vrai, ce goût de voyage je l’avais déjà : la grande curiosité qui le traduisait, contenue dans ma chambre, se satisfaisait dans mes livres, des livres de toutes sortes et en grande quantité.

J’étais un lecteur frénétique, boulimique, puis je me suis calmé comme on le fait parfois en vieillissant, appréciant non plus la quantité mais la qualité voir l’originalité. Mais je ne suis pas vieux, pas encore ! Et si l’on rapporte mon âge de raison littéraire à celui des enfants de sept ans, je suis bien, littérairement du moins, l’un d’entre eux.

Ainsi, comme un enfant gourmant traînant dans la cuisine, à force de goûter la pâte, finit par préparer ses propres gâteaux, comme un enfant gourmand, peut-on dire, j’ai commencé à écrire. J’ai aimé cela, secrètement d’abord, mettant une intention littéraire discrète et malicieuse derrière chaque devoir rendu, chaque post-it rédigé à mon voisin de bibliothèque, et puis de moins en moins, écrivant pour écrire, sans autre prétexte que le plaisir de le faire.

Une telle transition ne se garde pas longtemps pour elle et, comme le chaton qui se lasse de jouer avec sa propre queue, une écriture qui se construit se tourne vers l’extérieur. Elle cherche à être appréciée –dans les deux sens du terme- le plus objectivement. C’est en partie ce que j’ai voulu trouver dans ce concours.

Enfin, pour ajouter quelques détails qui manqueraient à l’exactitude de ce portrait, un mot sur ma famille et mes études. Je suis né le seul garçon d’une portée de triplés qui rejoignait ma grande sœur et mes parents, pour le meilleurs n’en doutons pas – ils n’ont jamais failli face au nombre cela suffit à faire leur gloire. Et je me suis retrouvé à 18 ans avec deux sujets de prédilection : la littérature et la biologie humaine. Des deux carrières qui s’offraient alors à moi, j’ai pris la plus facile et j’ai commencé mes études de médecine ; pariant qu’il était plus simple d’être un médecin qui lit et écrit un peu, qu’un professeur de littérature qui opère et ausculte de temps en temps.

Au sujet du 3ème concours 17 boulevard Jourdan

Le 3ème concours de récits 17 boulevard Jourdan s’est tenu de novembre 2015 à février 2016, invitant les participants à écrire une histoire réelle ou fictive, à la première personne, se passant à la Cité internationale et ayant pour thème « La Cité de la sérendipité », les hasards heureux.

Avec le soutien de :

  • Cité Internationale
  • 6 mois
  • Clairefontaine
  • Parigramme
  • Mairie du 14ème arrondissement
  • Fédération Internationale des Professeurs de Français (FIPF)
  • Éditions Diane de Selliers
  • Radio Campus Paris